Ankouro & Tristesire

1. Sans arme, ni haine, ni violence.


Tristesire était désormais bien connu à Lune d'Argent. Connu, mais pas trop aimé. Les Sin'doreis sont ainsi faits : consommer du mana, oui ! Mais terrés au fond de leurs résidences de luxe, et certainement pas acheté sous le manteau à un réprouvé quelque peu déjanté en plein centre ville. Non, les elfes ne voyaient pas cela d'un très bon œil. Et malheureusement pour Tristesire, cela a un jour finit par lui jouer des tours.


La nuit était déjà tombée depuis quelques heures maintenant sur les Bois de la Pénombre, au nord des Royaumes de l'Est, et c'est avec un très douloureux mal de crâne que Tristesire ouvrit les yeux. La première chose dont il se rendit compte, c'est qu'il était assis, et visiblement ligoté à une chaise. Tandis que sa vue s’accommodait lentement à la pénombre environnante, il comprit qu'il se trouvait dans une pièce assez vaste mais en bien piteux état. La peinture des murs s'effritait, les plaintes en bois étaient vermoulues, une odeur rance embaumait l'air et une épaisse couche de poussière recouvrait le sol ainsi que les meubles. Cependant, ce qui l'interpella le plus, ce furent les trois silhouettes plongés dans le noir qui lui faisaient face. Un grattement d'allumette plus tard, le temps pour l'une des silhouettes d'allumer une lampe tempête accrochée au mur, et elles sortirent de l'ombre. Trois Sin'Doreïs, deux hommes assez bien bâtis entouraient une femme bien plus petite, qui arborait la tenue des Chevaliers de Sang. Tristesire poussa alors un soupir, visiblement soulagé.

- Ouf, j'ai eu peur, l'espace d'un instant, j'ai cru que vous n'étiez pas des Elfes.

La réponse du plus grand des deux gorilles ne se fit pas attendre, et il flanqua une gifle au réprouvé dont la mâchoire craqua douloureusement.

- Et tu as encore le culot de te moquer de nous !
- Nous t'avions prévenu de ce qu'il t'arriverait si l'on te voyait encore vendre tes saloperies au nez et à la barbe des gardes, expliqua calmement la femme tandis qu'elle s'approchait d'un pas assuré vers Tristesire. Ce dernier plissa les yeux, et l'on pouvait deviner qu'il arborait maintenant un large sourire derrière son masque.
- Voyons, je ne fais que profiter d'un vide juridique pour écouler quelques vieux stocks, il est inutile d'en venir aux mains. Et je puis vous assurer que je ne vend mon mana qu'à des fins thérapeutiques uniquement ! C'était inutile de m’assommer et de m'emmener jusqu'à cette cabane où l'on ne m'entendrait éventuellement même pas crier...

La Sin'Doreï grinça des dents, se redressa et croisa les bras.

- Un vide juridique, exactement, ce qui nous empêche officiellement de te passer à tabac, ou de te mettre derrière les barreaux. Officieusement, par contre... Nous n'avons pas pour habitude de laisser passer de telles injures à notre peuple, ton petit commerce gangrène notre ville, et tu vas malheureusement devoir en payer les conséquences, ce soir. Mais avant cela...

Elle s'avança alors vers Tristesire, et fit lentement glisser son masque.

- Qui es-tu ?
- Je crois que je le reconnais, lâcha le deuxième gorille. Il traîne souvent dans la Forêt des Pins Argentés, et aux alentours de Fossoyeuse... Ha, sale bête !! Un cafard de belle taille s'était mis à virevolter autour du visage de l'Elfe, mais avant qu'il ne réussisse à l'écraser entre ses mains, l'insecte s'était envolé par le fenêtre.
- Son nom !, vociféra la chevalière.
- An... Ankouro ! Ankouro Von Baffel.
- Van Tassel, vous pourriez au moins avoir la courtoisie de ne pas écorcher mon nom de famille. Il m'a coûté assez cher comme ça.
- Van Tassel... le Capitaine des Nécrotraqueurs ?
- Précisément, rétorqua t'il en un sourire. Et vous êtes ?

La femme se mit à rire frénétiquement, suivie de près par ses deux gardes du corps, qui ne comprenaient sans doute pas ce qu'il y avait de drôle.

- Je suis Lyliana Doren'fall , Chevalier de Sang au service de Quel'Thalas. Et je dois dire que je suis bien contente de ne pas être de ton espèce, si c'est là le sort que l'on réserve à vos vétérans de guerre.
- Ho, je ne suis pas si mal tombé vous savez, mon ancien équipier Richard est maintenant vendeur de fruits de mer dans les égouts de Fossoyeuse, alors l'un dans l'autre... expliqua Ankouro tout en essayant de se dégager de ses liens, sans vraiment faire preuve de discrétion.
- Inutile, tu ne brisera pas tes liens, ton destin est scellé. Mais avant de t'octroyer ta punition, je dois avouer que tu as éveillé ma curiosité... Pourquoi caches-tu ton identité, si selon toi tu n'as rien à te reprocher ?

Le Réprouvé redressa la tête et réfléchit un petit instant.

- Et bien pour faire simple, disons que je pense être amené à faire prochainement de grandes choses pour la communauté réprouvée. Malheureusement, je ne pourrais jamais accéder à un semblant de pouvoir si l'on a connaissance de la nature de certaines de mes activités...
- Quel genre d'activités ?
- Hooo, soupira le Réprouvé en se fendant d'un sourire. Elles sont nombreuses, outre le trafic illégal de stupéfiants, je n'hésite pas à me salir les mains pour arrondir les fins de mois, vous soyez... Je vole, je truande, j'arnaque, je cambriole, je fais chanter... J'ai déjà kidnappé aussi, mais ça, ça demande pas mal d'organisation... Une fois, j'ai...

Le teint pâle de l'Elfe vira au rouge tandis qu'Ankouro continuait d'énumérer une liste de méfaits qui paraissait sans fin.

- Cela étant, ajouta t'il, et bien que cela soit parfois très tentant, je n'assassine plus, c'est bien trop salissant. Je suis dans mes vieux jours, je n'ai plus la vigueur d'autrefois... Sans arme, ni haine, ni violence, c'est mon nouveau crédo, gloussa t'il.

Lyliana explosa, ses deux gorilles eurent eux-mêmes un soubresaut lorsqu'elle se mit à hurler.

- As-tu seulement conscience de ce que tu es entrain de faire, misérable cadavre ambulant ? Je pensais que tu ne méritais qu'une douloureuse punition, mais c'est de ta vie que tu vas payer ton infamie, peu importe ce qu'il m'en coute !
- Et encore, je ne vous ai pas raconté la nuit où j'ai dessiné des images obscènes au charbon de bois sur les murs de la place des Pérégrins, hihihi ! Ça leur a prit une journée entière à tout lessiver !

La chevalière dégaina son épée, folle de rage. Les deux hommes ne savaient visiblement pas bien comment réagir à la situation, et préférèrent rester en retrait. Ils avaient suffisamment confiance en leur supérieur pour mener cette tâche à bien.

- Et maintenant tu vas mourir !
- Ça je ne crois pas, non...
- Qu'est ce qui te rend si sûr de toi ?
- Et bien premièrement, je suis déjà mort, vous ne pouvez donc techniquement pas me tuer... Et ensuite, mes amis viennent d'arriver, expliqua t'il lentement, un large sourire au visage.

Alors que la lame de la Sin'doreï s'apprêtait à pourfendre le corps du Réprouvé, un violent coup de tonnerre résonna à travers la vieille bâtisse, et Lyliana s'arrêta net, puis se retourna. Un coup de tonnerre, ça ne fait pas un trou gros comme le poing dans une porte en bois. Et ça ne fait pas non plus exploser la cervelle de son garde du corps. Tandis qu'Ankouro se pourléchait les babines, pleines du sang qui avait giclé jusqu'à lui, l'Elfe jeta un œil par le trou béant de la porte, et distingua à quelques mètres de là la silhouette d'un Troll qui tenait un gigantesque tromblon entre ses mains, le visage sévère.

- Qu'est-ce que...

Lyliana s’apprêta à ouvrir la porte, lorsque la fenêtre devant laquelle se tenait le deuxième gorille éclata en mille morceaux. Un gigantesque tigre bleu, dont le pelage hirsute arborait de terrifiants symboles tribaux s'était jeté à travers la vitre sur le garde du corps, et plantait maintenant ses défenses aiguisées comme des lames de rasoirs dans sa gorge, le faisant suffoquer, comme on peut l'imaginer, dans d’atroces souffrances. Alors que la chevalières tenta de se jeter sur l'animal pour sauver son sous-fifre, la porte s'ouvrit brutalement et elle fut projeté au sol. Une Orque entra, et avança de quelques pas en prenant soin de marcher sur les doigts de l'Elfe à terre, qui émirent un craquement sinistre suivit d'un cri de douleur aigu. L'Orque fit le tour de la salle du regard, tira une longue bouffée sur son cigare, et recracha un épais nuage de fumée tandis que son regard s'arrêta sur un Van Tassel souriant.

- Tu as le chic pour te mettre dans de beaux draps...
- Miss Norsh ! Dunwak'Jin ! Zunsko !Vous en avez mis du temps, lui rétorqua t'il, tandis que le druide reprit sa forme de Troll, et que son homologue chasseur entra à son tour dans la pièce, et s'avança vers Ankouro pour le défaire de ses liens.
- Tu peux remercier ton messager cafard, Tristesire. Une chance pour toi, il n'a pas eu trop de mal à nous trouver, on jouait aux cartes à l'auberge de Brill...
- J'étais entwain de leuw mettwe une de ces waclées !

A ces mots, l'insecte pénétra dans la vieille bâtisse, et vint se réfugier dans les mains de son maître, sous le regard interloqué de Lyliana, qui supportait sa douleur en silence.

- Ho, Evinrude, mon cher petit Evinrude, tu as encore sauvé papa ! Tu aura de délicieux restes à manger ce soir, le congratula t'il en le caressant du bout d'une de ses griffes.
- Vous n’échapperez pas à la potence, vous paierez de vos actes, c'est de la haute trahison ! On se s'attaque pas à un chevalier de sang sans en subir de lourdes conséquences !, lâcha difficilement Lyliana en tentant de se relever. Elle fut toutefois rapidement remise à terre par un violent coup de pied qui lui porta Tristesire, qui s'était relevé et arborait à nouveau son masque.
- Tu l'as dit toi même. Officiellement, tu n'avais pas le droit de t'en prendre à moi... J'en conclus donc assez facilement que tu es venue ici accompagnée de tes deux sous-fifres sans le consentement de tes supérieurs... Et que donc, tout naturellement, personne ne sait que vous êtes là.
- Même... même si tu me tue, ils sauront. Ils finiront par savoir, et vous serez tous condamnés à mort !
- Ils sauront... s'ils retrouvent vos corps, oui... Zunsko ? Lança t'il au chasseur. Votre loup doit mourir de faim, n'est-ce pas ?

Les trois compères sortirent, et le troll siffla son familier, qui s'engouffra dans la cabane. Avant de refermer la porte derrière lui et tandis que d'atroces hurlements se mirent à s'échapper de la bouche de l'elfe, Tristesire murmura...

- Sans armes, ni haine... Et presque sans violence, hihihi !



Un peu plus loin, sur la route...

- Vous voyez, on ne l'entend déjà presque plus crier !
- Ça n'a rien de marrant, on a tous risqué nos vies et notre couverture, ce soir... lâcha Norsh d'un air las.
- Ho allez, ça fait trois Elfes en moins sur Azeroth, c'est déjà ça non ?

Zunsko se fendit d'un imperceptible sourire, Dunwak'Jin éclata de rire, et Norsh cracha un énième nuage de fumée sans pouvoir s'empêcher de sourire à son tour.

- Dites, je vous ai déjà raconté la fois où j'ai dessiné des images obscènes sur les murs de la Place des Pérégrins ?